Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500)

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     OEIL     
FEW VII oculus
OEIL, subst. masc.
 
 

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[Organe de la vue (entre autres pour la vigilance, la surveillance...)]

 

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Devant les yeux au devin rien ne peut être celé V. devin

 

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Les yeux sont faits pour regarder V. regarder

 

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Il faut être habile d'avoir un oeil au bois et l'autre vers la ville : Qui bien se veult garder De plusieurs passedrois, C'on ne le puist larder D'ung mauvaix havredois, Soit doulx, humble et courtoix Et sur tout bien habille D'avoir ung oeil au bois Et l'aultre vers la ville (Prov. rimes F.M., c.1485-1490, 43).

 

Rem. Hassell 179, O8.

 

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Champs ont yeux et bois ont oreilles V. champ

 

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Les yeux doivent aller devant le pas : Amys, dist Renard ly houpis ["goupil"], Le juge sera mont hardis Qui jugera contre raison, Si com en escript le trouve on De Salomon, dire le veuil, Qui met et escript que li oeuil Doibvent aler devant le pas ; S'aultrement va, ne le plain pas, S'i lui vient une mescheance. Veez en ci la signifiance De ceste raison deviser (...) : Ly oeuil le conseil signifient, Et le pas signifie l'oeuvre. (Renart contref. R.L., t.1, 1328-1342, 58).

 

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L'oeil du seigneur maintient l'hôtel. "La vigilance du maître est nécessaire dans sa maison" : Mais, sire, il convient mettre la main a l'oeuvre : L'ueil du seigneur maintient l'ostel ; Oeuil de servant ne feroit autel. (GERS., Noël, p.1404, 311).

 

Rem. Hassell 180, O13 ; DI STEF. 603b, oeil.

 

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[Rapports entre l'oeil et le coeur, en amour]

 

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Ce que l'oeil dépend en plaisir, le coeur l'achète cher : Ce que l'ueil despend en plaisir, Le cuer l'achete chierement, Et, quant vient a compte tenir, Raison, president sagement, Demande pourquoy et comment Est despendue la richesse Dont Amours deppart largement, Sans grant espargne de liesse. (CH. D'ORLÉANS, Ball. C., c.1415-1457, 173).

 

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De ce qu'oeil ne voit coeur ne deult/ ce qu'oeil ne voit coeur ne convoite : Regart si est trop perçant chose ; Toute plaisance y est enclose, Aussi y est tout le contraire, Si soubtillement scet-il traire, Car tous ceulx que Regart attaint, Soit pour bien ou pour mal, à teint Souvent leur fait muer couleur, Soit par joye, ou par douleur. Pour ce est voire ce qu'on dire seult : De ce qu'oeil ne voit, cuer ne deult. (JACQUES BRUYANT, Voie pauvreté richesse P., 1342, 15). "Outre !" che dist Gaufer, "que jà Diex ne t'ament, Quant tu m'as tant blasmé villainement. Fax est et outrageus qu'autrui blasme reprent. Qui d'autrui voeilt mesdire, s'el die coiëment, Car che que eix ne voit, coers ne doelt né ne scent." (Baud. Sebourc B., t.2, c.1350, 349). Or est assavoir que des autres portes la porte des yeulx est la plus perilleuse, car on dit que ce que yeulz ne voit, cuer ne convoicte. Si doit la bonne nonnain tenir ses yeulx baz et ne doit mie regarder afficheement chose qu'elle ne doye convoitier sanz pechié (FRÈRE ROBERT, Chastel perill. B., c.1368, 401). ...celui qui est loing de l'ueil Est loing du cuer (...). Et on dit, nottez bien ce point, Qu'a l'ueil ne voit au cuer ne doelt. (TAILLEV., Deb. cuer ueil D., c.1444, 222). LA FEMME. Pour ce que mon mary est vieulx, Affin que mon amy ne voye, Je luy estoupperay les yeulx, Tendis qu'il s'en yra sa voye. Bien say qu'il n'auroit pas grant joye De le voir, et, pour tant qu'i puet Eviter le mal, je diroye : Ce qu'oeil ne voit au cuer ne duelt. (Prov. rimes F.M., c.1485-1490, 42).

 

Rem. Morawski 1766 : Que ieus ne voit cuers ne deut ; Hassell 179, O9.

 

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La nature fait des yeux les messagers du coeur : Nature fait as oels cargier Que au coer soient messagier, Et li oyex moult souvent demonstre Avoec le sierure le plonstre ; Et chou k'est par dedens le cofre, Appiertement moult souvent s'offre ().

 

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Là où est le coeur, là est l'oeil V. coeur

 

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L'oeil est volontiers où amour est V. amour1

 

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Loin des yeux, loin du coeur : ...d'anter ses amis vault-on miex bien sovent. Qi eslonge des iex, on dist communalment, Il eslonge du cuer. Antise amour aprent. (Baud. Sebourc B., t.1, c.1350, 11). Et on dit, nottez bien ce point, Qu'a l'ueil ne voit au cuer ne doelt. (TAILLEV., Deb. cuer ueil D., c.1444, 222). ...et si dist on souvent que qui eslongue de lueil [l. l'ueil] il eslongue du cuer. (Gil. Tras. W., c.1450, 97). ...car l'en dist en ung proverbe : quy eslonge de l'ueil aussy fait il du cuer (Jehan d'Avennes F., c.1465-1468, 152). "Par ma loy, mon bel amy !" dist Jason. "Qui de l'oeil eslonge, du cuer se recule. Mirro est clere comme l'or, mais Medee flamboye comme la pierre precieuse..." (LEFÈVRE (R.), Hist. Jason P., c.1460, 200). ...car l'en dist en ung proverbe : quy eslonge de l'ueil aussy fait il du cuer (Jehan d'Avennes F., c.1465-1468, 152).

 

Rem. Hassell 179, O12 ; DI STEF. 603a, oeil. Cf. aussi Morawski 1020 : Là où est l'amour si est l'oeil.

 

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[Idée de menace]

 

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Le fou voit bien la petite bûchette en la face de son voisin, mais il ne se donne garde du grand tref qui lui pend à l'oeil V. fou

 

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Le sage dit que le pire ennemi est l'oeil : La quarte folie de Eve si fut du fol regard, quant elle regarda l'arbre et le fruit de vie que Dieux leur avoyt deffendu. (...) Car la saige dit que le pire ennemi set l'ueil, dont maintes ont esté deceues par faulx regars. (LA TOUR LANDRY, Livre pour l'enseign. de ses filles, éd. A. de Montaiglon, 1371, 86).

 

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Nul ne sait/ne voit ce qui à l'oeil lui pend : A son seigneur fait le subget injure ; Dieux n'est doubtez ; avarice et orgueil Regnent si fort que c'est male avanture, Et ne voi nulz ce qui lui pent a l'ueil. (DESCH., Oeuvres Q., t.3, c.1370-1407, 153). Nul ne doit despire le mehaing ne le mal d'autruy, car nul ne scet qui ["ce qui"] à l'ueil lui pent, ne nul ne se doit esmerveillier ne esmaier des fortunes ne des tribulacions à soy ne à ses voysins (LA TOUR LANDRY, Livre pour l'enseign. de ses filles, éd. A. de Montaiglon, 1371, 160). LE CONTREFAIT (au boiteux qui vient de lui offrir son aide.) Helas, doulx ami, se je sceusse Tant de bien, je vous merciasse Ou au moins d'argent vous paiasse, C'est au moins que je puisse faire. LE BOITEUX. Je vous en pry, vueillés vous taire ; Se que je fais est tout pour Dieux. Il n'est sy josne ne sy vieux Qui congnoisse qu'a l'ueyl ly pent. (Myst. st Clément Metz D., p.1439, 491).

 

Rem. Morawski 355 : Chascuns ne set qu'a l'oill li pent, 1411 : Nul ne set qu'a l'eul ly pent ; Hassell 180, O16 ; DI STEF. 601a, oeil.

 

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L'oeil du seigneur maintient l'hôtel V. maintenir

 

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L'or est de l'oeil le gracieux repas V. or1

 

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Oeil pour oeil, dent pour dent : "Cil qui de glaive fait mourir, Et il doit de glaive perir", Et en celui lieu dit : "Je veul Dent pour dent perdre et eul pour eul". Se tel sentence est trop inique, Blasmés cil qui fist Levitique Qui telle en son livre la mist (LA BUIGNE, Rom. deduis B., 1359-1377, 145).

 

Rem. Latin : Oculum pro oculo, dentem pro dente restituet Lévitique, 24.20 ; Hassell 180, O14.

 

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On doit mettre à son oeil l'herbe qu'on connaît V. herbe

 

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Point ne se doit jouer l'âme à foi, à l'oeil et à la bonne fame V. jouer

 

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[Souvenir de la sentence du psaume114-115 : (Oculos habent et non videbunt...)] Qui a l'oeil voie, oye qui a l'oreille : Qui a l'oeil voye, oye qui a oreille, Qui a cueur pense et qui a sens retiengne, Tousjours suis cy et tousjurs m'apareille En actendant qu'aulcun disciple viengne. Et si dy hault, affin qu'il m'en souviengne, Qu'il fait foleur qui mon conseil reffuse (MICHAULT, Doctr. temps prés. W., 1466, 171).

 

Rem. DI STEF. 603c, oeil et 619c, oreille.

 

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[La beauté d'un organe n'est pas une garantie de qualité] Tel a beaux yeux qui ne voit goutte : L'AMANT. Tel a beaux yeux qui ne voit goutte. Je cuidoie estre son mignon Mais il me rejette et deboute Et me rue plus bas qu'en soute ; Ce n'est pas jeu de compaignon ; S'il a chasteau, tour ou pignon, Je y feray des assaulx hideux. (MOLINET, Faictz Dictz D., 1467-1506, 579). LE MOUTON (s'adressant au LOUP). Tel a beaux yeux qui ne voit goutte. Je te cuidoie estre un prophete, Quand premier vis, que peu j'agouste, Ton faulx samblant, qui me fit feste ; Mais tu es la malaitte beste, Le loup rioteux, faulx et fin. (MOLINET, Faictz Dictz D., 1467-1506, 667). L'USURIER. Me convient il si tost morir ? Ce m'est grant peine et grevance ; Et ne me pourroit secourir Mon or, mon argent, ma chevance ? Je vois morir. La mort m'avance ; Mais il me desplait, somme toute. Qu'est de male acoustumance ? Tel a beaux yeux qui ne voit goute. (Danse macabre C., 1485, 32).

 

Rem. Morawski 621 : Du peit oill te garde, 2326 : Teux a beaux yeulx qui ne voit goutte ; Hassell 253, Y4. Cf. aussi : De mains se crieve on l'ueil que d'un chevron, 621 : Du petit oill te garde, 1491 : Len ne doit pas avoir les yeulx plus grans que le ventre, 1658 : Plus voit saiges à un oil que ne fet fous à deus, 2010 : Qui n'a q'un oill sovent le tert ("l'essuye, le nettoie").
 

Lexique de proverbes Pierre Cromer


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