Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500)

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     JOIE     
FEW IV gaudium
JOIE, subst. fém.
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[Alternance ou coexistence de joie et de peine]

 

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Après courroux il vient grande joie V. courroux

 

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Après grandes joies mondaines aucunefois adviennent les pleurs et regrets : Aprés grans joyes mondaines aulcunesfois adviennent les pleurs et regrés, pour ce que verité est que ceste fragilité mondaine est de pou de duree (Hist. seign. Gavre S., c.1456, 184).

 

Rem. Morawski 109 : Aprés grant feste grant pleur, et aprés grant joie grant douleur, 111 : Aprés grant joie grant corroux ; Hassell 141, J20.

 

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De coeur dolent joie ne peut issir : ...Dame Noblesse, au brun sourcil non roux, Fort souspirant, vollut ces mos tissir : De coeur dolent joie ne poeult issir. (MOLINET, Faictz Dictz D., 1467-1506, 170).

 

Rem. DI STEF. 454a, joie.

 

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En amour il y a plus de joie que de douleur V. amour1

 

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En armes et en amours, contre une joie, il y a mille douleurs V. arme

 

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Grande joie vient après grand deuil : Ne vous esbahissez en rien ; Il n'est nulle si forte guerre Qu'au derrain ne s'appaise bien (...) ; Grant joye vient aprés grant dueil. (CH. D'ORLÉANS, Compl. C., 1433-p.1451, 273).

 

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Joie dont deuil sourd est nourrice de tourment : Quant les Caldains percheurent Grigois venir en si noble arroy, ilz commencerent leurs armeures à prendre, car bien veoient aprochier la merlee. Si fust tost nunchié à Melchis en sa tente, qui en eut joye tres grant, et aussi eurent les deux freres de Defur quant ilz en sceurent la nouvelle. Pour quoy ilz firent armer leurs gens et issir hors de la cité pour les Gregois combatre et eulz joindre auz Caldains, desquelz conduissoit l'avantgarde Clares de Mongenson. Mais joye dont dueil sourt est droit nourrice de tourment. (Faits conq. Alexandre N.L., c.1450-1475, 110).

 

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Joie en la fin tourne en tristesse : LA BOURGOISE. ...Ma conscience fort me mort De folies faictes en jeunesse Qui me sont a rebours tresfort [:] Joye en la fin tourne en tristesse. (Danse macabre femmes H., p.1480, 68).

 

Rem. Hassell 141, J23.

 

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Grande tristesse abat grande joie V. tristesse

 

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La fin de joie en deuil redonde V. fin1

 

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Qui sème en larmes de tristesce, il cueillera joie à cent doubles V. semer

 

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Celui-là est riche à qui joie demeure V. riche

 

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Le mal tourne souvent à joie V. mal1

 

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Le sage fils est la joie de son père et le fils fou la détresse de sa mère V. fils

 

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Qui de joie ist en deuil trébuche : ...Viellesse m'atendoit au pas Ou elle avoit mis son embusche : Qui de joye ist en dueil trebusche. (TAILLEV., Passe temps D., c.1440, 137).

 

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Qui entre en grande joie à moindre joie sort. "Les débuts sont joyeux, la fin l'est moins" : Povre homme et viel a dolleurs cent Quant Penser lui fait souvenir Du temps qu'il fust adollescent Et qu'il estoit en son venir Car tel ne puet redevenir. C'est ce qui son bien amendrist : Qui entre en grant joye a mendre yst. (TAILLEV., Passe temps D., c.1440, 149).

 

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Qui sans donner à fou promet, de néant en joie le met V. promettre

 

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Tel vit en joie qui meurt en grande tristesse : Bien esbay me treuve quant je pense Qu'il fault mourir au fort de ma jennesse. Las ! quel loier et povre recompense, Mais riens n'y vault regret ne doleance, La fault passer, c'est la commune dance : Tel vit en joie qui meurt en grant tristesse. (HAUTEV., Compl. B., c.1441-1447, 65).

 

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Vieux deuil est apaisé par nouvelle joie V. deuil

 

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[Point de vue de moraliste]

 

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[Ce qu'on cache (au lieu de le donner) laisse un goût amer] Bien mussé porte joie petite : Le prodigue gaste sans nul pourpens: Et au large le bien sourt et habonde, Dont il rent soy et les autres contens ; C'est l'enseigne des vertuz en ce monde. Don receü oblige le prenant, Et le donneur sa grant bonté acquite ; Le donné vault plus que le remenant Car bien mucé porte joye petite. (CHART., B. Nobles, c.1424, 405).

 

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Joie de manger est peu durable : Si tost qu'on a osté la table Il n'en souvient a nully gueres [:] Joye de menger est peu durable[.] (Danse macabre femmes H., p.1480, 104).

 

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Joie mondaine est peu durable : ...Quant tu es dessus ton coursier Chascun voelt devant toy fremir ; Toy, qui fais les aultrez cremir, Tu devenras abhominable : Joye mondaine est peu durable (CHASTELL., Miroir mort V.H., c.1436-1450, 72). LA DAMOISELLE. Que me vallent mes grans atours, Mes habitz, jeunesse, beaulté, Quant tout me fault laisser en plours. Oultre mon gré et voulenté, Mon corps sera tantost porté Aux vers et a la pourriture ; Plus n'en sera ballé ne chanté : Joye mondaine bien peu dure. (Danse macabre femmes H., p.1480, 66).

 

Rem. Hassell 141, J21.

 

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Joie ou deuil, tout est à commun : Las ! Il n'a pas En un mesme cuer deux repas, Maiz une vie et un trespas ; Et doit passer un mesme pas Ce qui est un. Joie ou deul, tout est a commun ; Une mort a l'autre et a l'un, Une seule vie a chascun. (CHART., L. Dames, 1416, 215).

 

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Joie s'en va comme feu de feurre : [La Mort à la jeune mariée] En dansant je vous viens saisir ; Au jour d'huy serés mise en terre ; Mort ne vient jamais a plaisir : Joye s'en va comme feu de ferre. (Danse macabre femmes H., p.1480, 80).

 

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Il n'est joie sans tristesse : Qui est celluy qui passe un jour, Soit en nopces ou en plaisance, Sans avoir ennuy ou doulour, Mouvement de concupiscence, Despit, apetit de vengeance (...) : Brief, il n'est joye sans tristesse. (ALECIS, Déb. omme mond. P.P., c.1500, 161).

 

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Qui la mort craint jamais n'a joie V. mort1

 

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Tôt passe la joie de ce monde : ...Tost devia la noble Rosemonde, Tost fut Dido d'amours desheritée, Tost se passe la joye de ce monde ! (CH. D'ORLÉANS, Ball. C., c.1415-1457, 563).

 

Rem. Hassell 141, J21.

 

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Toute joie fine en tristesse : LE CARDINAL. ...La mort m'est venue assaillir. Plus ne vestiray vert ne gris. Chapeau rouge, robbe de pris Me fault laisser a grant destresse. Je ne l'avoye pas apris ; Toute joye fine en tristesse. (Danse macabre C., 1485, 21).

 

Rem. Hassell 141, J23.

 

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Trop de joie fait l'homme foloyer V. foloyer

 

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[Joie de la nostalgie]

 

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Joie de vieux chien gît en cor. "La joie du vieux chien est dans le cor de chasse ; vieux, on se souvient avec plaisir de ce qui nous réjouissait, jeune." : Aprés dit : "Maintenant que n'ay je La joye que jadiz m'advint !" Et ne se souhaite qu'en aage De dix et huit ans ou de vingt : C'est le temps qu'amoureux devint. Il feroit merveilles encor... Joye de viel chien gist en cor. (ALECIS, Passe temps P.P., 1480, 149).

 

Rem. DI STEF. 454a, joie.

 

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Vivre en joie est plaisant séjour : De ma jeunesse ou meilleur point - Ainsy que ses ans on compasse - Encores ne pensoye point Comment temps s'en va et passe En pou d'eure et en pou d'espasse Et la nuit vient aprez le jour : Vivre en joye est plaisant sejour. (TAILLEV., Passe temps D., c.1440, 135).

 

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[La joie ne doit pas être égoïste]

 

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Avec bonne compagnie fait il bon joie mener V. compagnie

 

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Mal de la joie ("maudite la joie") dont ceux d'autour n'ont leur part : Sy tost que Gaudine ouy le cheval hainyr, elle en fut moult courroucie et doulante, et dist au chevalier : "Haa ! Passelyon, vous m'avez mauvaisemment trahie, veu que vous m'aviez proumis que mon cheval se tairoit de vous et de moy, et il m'a accusee. - Belle, dist le chevalier, mal de la joie dont ceulx d'entour n'ont leur part. Vostre cheval nous a veu mener vie joyeuse : qu'en poeut il s'il en chante ?" (Percef. IV, R., c.1450 [c.1340], 719).

 

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[La joie de la bonne conscience]

 

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Celui-là est riche à qui joie demeure V. riche

 

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Il n'est telle joie comme paix de conscience : N'est telle joye comme paix de conscience ; et telle paix est donnee par penitence, et par plaisir mondain ostee. (GERS., Déf., 1400, 243).

 

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La joie du juste est que justice soit faite : Si povons conclurre de lui ce qui est dit es Proverbes : «La joye du juste est que justice soit faitte». (CHR. PIZ., Faits meurs Ch. V, S., I, 1404, 64).

 

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[La joie doit être modérée]

 

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Mener joie trop excessive à honneur répugne et estrive : SALOMON. Mener joye trop exessive A honneur repugne et estrive ; De joye les extremitez Ce sont pleurs et calamitez (Myst. Viel test. R., t.4, c.1450, 401).

 

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Qui a joie de tout, il ne sait quel en est le goût : Au fort, qui a joie du tout, Il ne scet quel en est le goust, Car nul bien n'est prisié sans coust ; Dont je regraite De tant plus la tresdoulce actraitte De joie que Dueil m'a fortraicte, Quant pour la perte ay paine traicte. (CHART., L. Dames, 1416, 250).

 

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[La joie se mérite] Il n'est bien ni joie que l'on prise se on l'obtient à peu de peine : Mais il n'est bien ne joye si haultaine Que l'en prise se on l'a a peu de paine, Ne ce n'est droit, Car se chascun avoit ce qu'il vouldroit, Ne bien servir ne souffrir n'y vauldroit (CHART., D. Fort., 1412-1413, 165).

 

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[Point de vue de chevalier] Toute joie et tout honneur viennent d'armes et d'amours : Et lors devisoie aparmi : "Quant revenra li tamps parmi Que par amours porai amer ?" On ne m'en doit mies blasmer S'a ce iert ma nature encline, Car en pluiseurs lieus on decline Que toute joie et toute honnours Viennent et d'armes et d'amours. (FROISS., Espin. amour. F., c.1369, 50).

 

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[La joie des autres fait souffrir celui qui est triste] Joie triste coeur travaille : C'estoit garnison de tous biens Pour faire a cuer d'amant frontiere : Jeune, gente, fresche et entiere ; Maintien rassis et sans changier, Doulce parolle et grant maniere, Dessoubz l'estendart de Danger. De celle feste me lassay, Car joye triste cuer travaille, Et hors de la presse passay (CHART., B. Dame, 1424, 336).

 

Rem. Hassell 141, J22.

 

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C'est droiture qu'en amour ait joie et ardure V. droiture

 

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De courte joie grand méchef : LE MAISTRE DE L'ARTILLERIE (d'Holopherne) Evidamment icy se preuve Courage de femme prefix. Seulement pas l'avoir occis, Mais avoir emporté le chef, Encor de mouvement rassis ! De courte joye grant meschef. (Myst. Viel test. R., t.5, c.1450, 350).

 

Rem. DI STEF. 454a, joie.

 

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Deux joies valent mieux qu'une : L'autre dame [...] dist que nul n'i devroit croire, Que l'en ot le grant cerf chassier, Que l'en ne velle pourchassier De lui veoir. Et fait grant joie Et grant delit, mes qu'en le voie, Et si ot l'en les chiens chassier, Ou l'en se peut trop delitier ; Ainssi sont deulz joies eües, D'ouïr et de veoir venues. L'en dist en parole commune : Deus joies valent miex quë une. (HENRI FERR., Modus et Ratio, Livre deduis T., c.1354-1377, 262).

 

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Famine abat toute joie et affaiblit la vie V. famine

 

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Grande joie nourrit grand courroux : Or commance l'istoire a racompter comment Galien secourut Jaqueline sa mere que ses freres vouloient exiller et fere pendre et mourir villainement, dont Galien souffrit moult de paine et de travail. Si dist on souvent que grant joie nourrist grant courroux etl cuide estre a repoux a qui ennuy et paine pend a l'ueil. (Galien Restoré K.K., c.1450, 124).

 

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Une joie contre mille maux pèse : Et nëantmoins En ceste foy je demeure et remains Que sages cuers atrempez et humains Pour bonne amour ne pevent valoir mains, Tant est courtoise, Car quelque ennuy qui leur en vieigne ou voise -- De quoy souvent aux fins amoureux poise -- Une joye contre mille maulx poise. (CHART., D. Fort., 1412-1413, 192).

 

Rem. Cf. aussi Morawski 894 : Il n'aura ja joye qui ne l'a d'amer, Cf. aussi Morawski 926 : Il n'est plus de joie que de bien faire.
 

Lexique de proverbes Pierre Cromer


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