Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500)

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FEW XIV videre
VOIR, verbe
[DÉCT : vëoir ]

I. -

[Verbe de perception ou marquant l'acquisition d'une connaissance]

A. -

[Le compl. est soit un nom, soit un inf. dont le suj. est différent de celui de voir]

 

1.

[Voir renvoie exclusivement au sens de la vue] "Percevoir qqn ou qqc. par le sens de la vue"

 

a)

[Avec un compl. nom.]

 

-

En partic. "Pouvoir percevoir par le sens de la vue (malgré un obstacle)"

 

.

[Un lieu plongé dans l'obscurité] : Que ce lieu las est effreyeux ! Je ne scet comant je le voye. (Pass. Auv., 1477, 109).

 

.

[Un être dont on croit que sa nature divine devrait le rendre invisible] : Qui vous esmeult A croire que [Jésus] filz de Dieu soit ? Come nous mange, dort et boit. On le voit ; Dieu est invisible (Pass. Auv., 1477, 161).

 

-

[En tournure nég., exprimant l'horreur, le dégoût] : Malliferas, sans plus parler, Reprent ce chief [la tête de Jean-Baptiste] ; va le tourner Pres de son corps, que ne le voye. (Pass. Auv., 1477, 108).

 

-

[Dans une loc. superl. construite avec onc] : Je ne vis onc telle prise. (Pass. Auv., 1477, 126). Tu ne vis onc bestes parelles, Quar toutes vives on les mange ! (Pass. Auv., 1477, 142). Onc ne vis beste si saulvaige. (Pass. Auv., 1477, 143).

 

b)

[Avec un compl. nom. suivi d'une rel. en qui, ou accompagné d'un inf.]

 

-

Voir qqn/qqc. qui : Voy tu bien ceste femme que pleure ? (Pass. Auv., 1477, 153).

 

-

Voir qqc. de quoi/pour : Mes je ne voy seans nulle beste De quoy nous puissions faire feste A noustre meistre (Pass. Auv., 1477, 140). Et meinctenent suis en Aulvernge, Ou je n'y voy beste pour prandre. (Pass. Auv., 1477, 141).

 

c)

[Avec un compl. nom. accompagné d'un compl. de lieu ou d'un compl. prép.] : Frere, j'ay perdu ma plesance Et la joyeuseté que j'avoye, Deppuis que j'ay veu [l. qu'ay veu] en ma presance Le chief de Jehan que tant amoye. (Pass. Auv., 1477, 108). Prenés loysir Pour y aler, - et le varrons en quelque part. (Pass. Auv., 1477, 188). Seigneur, si te vien a plaisir, La mort on leur advansera Pour le grant sabbat que sera Demain, fin qu'on ne les y voye. (Pass. Auv., 1477, 228). Hee, mon filz, je ne te voy pas En croix, helas ! (Pass. Auv., 1477, 244).

 

d)

[Sans compl. dir.] Y voir : Dieu, veez cy chose merveilheuse, Treshaulte, tresmiraculeuse ! Coment, dea ? Je y voy clerement ! (Pass. Auv., 1477, 231).

 

2.

[Voir renvoie à l'expérience humaine]

 

a)

[Le compl. désigne un fait, un événement] "Être témoin de qqc., assister à qqc."

 

-

[Avec un compl. nom.] : J'ay veu merveilhes qu'il a fait, Et pour ce je croy ce qu'il dit. (Pass. Auv., 1477, 120). Je dy q'un cuer si dur que pierre S'admolliroit veyant cecy. (Pass. Auv., 1477, 155). ...trop nous presse Vostre tristesse, Qu'ainsi veyons (Pass. Auv., 1477, 240).

 

.

[Dans une loc. superl. construite avec onc] : Je ne vis onc façons pareilhes, Ne a personne faire mieulx. (Pass. Auv., 1477, 95). Onc ne vis pis. (Pass. Auv., 1477, 167).

 

-

[Avec un compl. nom. accompagné d'un inf.]

 

.

Voir qqn + inf. : Maintenant vouldroye fut nuyt, Qu'on ne me vist Porter ce chief tant gracïeux. (Pass. Auv., 1477, 109). Pour ce quelque foiz vouloir heus Et conclus De le vëoir miracle faire. (Pass. Auv., 1477, 136). C'est grant chose (...) De veoir plourer la Magdaleine. (Pass. Auv., 1477, 155).

 

.

Voir qqc. + inf. : Et ne voy tu venir la nuyt Et la mort, que tant nous menasse ? (Pass. Auv., 1477, 218). Dorenavant vous cognoistrés Ce sang sur vous, quant vous varrés L'ire de Dieu sur vous venir Et vostre lignhee gemir, Car Dieu vous batré aigrement. (Pass. Auv., 1477, 268). J'ay veu roches et pierres fendre (Pass. Auv., 1477, 274).

 

-

[Avec un inf.]

 

.

Voir + inf. +à qqn : Bien sçay oussi qu'elle a grant fain De veoir quelque miracle faire A ce prophete de bon aire (Pass. Auv., 1477, 134). Haa, Jehan, mon filz, la doleance Et paine que j'ay veu souffrir A mon filz, qu'estoit ma plaisance, De grant doleur me fait morir. (Pass. Auv., 1477, 258).

 

.

Voir + inf. : Oncques ne vis (...) Faire chouse si merveilheuse ! (Pass. Auv., 1477, 132). ...veoir mectre Jhesus en croix. (Pass. Auv., 1477, 180). Je ne vis onc plus fort süer. (Pass. Auv., 1477, 193). Luy voy tu point les vaines batre ? (Pass. Auv., 1477, 250).

 

b)

[Le compl. désigne un espace de temps] "Vivre, traverser"

 

-

P. ell. Voir qqc. "Vivre, connaître le temps de" : Pencés a la gloire des cieulx ; Laissés ces tristes passïons, Car les recompensacïons Qu'adtendons veoir par pascïence Sont en si grant perfectïons Que ce n'est riens que de souffrance. (Pass. Auv., 1477, 257).

 

c)

[Le compl. désigne une pers.]

 

-

"Rencontrer, se trouver en présence de" : Quant Guabriel vis, Et concepvis, - joyeux, risans Estions en seans. Tout ce revire ! (Pass. Auv., 1477, 246).

 

-

[En tournure nég.]

 

.

[Exprimant la tristesse, à la mort d'un être cher] : Or adieu ; plus ne vous varré. Desoubz la terre vous fault mectre. (Pass. Auv., 1477, 105). Adieu, mon filz ; mon filz ; adieu ! Plus ne vous voy, doulce brassee ! (Pass. Auv., 1477, 263).

 

.

[Exprimant l'hostilité] : Janus, accop, fay le tumber Abas, que jamaiz ne soit veu ! (Pass. Auv., 1477, 122).

 

-

[Avec un temps du passé] "Connaître qqn (pour l'avoir rencontré)"

 

.

[Dans une loc. superl. construite avec onc] : Oncques ne vis plus fole femme (Pass. Auv., 1477, 134). Onques je ne vis façon telle De malade, par mon serment (Pass. Auv., 1477, 158). Oncques homme terrain n'a veu Homme si parfait, comme croy (Pass. Auv., 1477, 165).

 

3.

[Voir renvoie à l'imagination] Voir qqn/qqc. "Se représenter (par la pensée, au cours d'un rêve, sous l'effet d'une hallucination...) une personne ou une chose absente ou inexistante" : Je voy courir Et decourir En ce monde de male gens. (Pass. Auv., 1477, 110). En songe je veyes liompars, Chiens, chatz, loups et renars, Ouls, lions, colevres, sanglers, Noirs hommes et fort estrangiers, Trestous a l'environ d'un jucge (Pass. Auv., 1477, 167).

 

-

[Le compl. désigne un événement à venir] "Prévoir" : Une foiz vous 'n arés du pis, Et croy que Dieu vous punira. Bien voy coment il en iré. (Pass. Auv., 1477, 269).

 

4.

[Voir renvoie à la vision d'êtres spirituels, de réalités surnaturelles]

 

a)

[Renvoyant à la contemplation de Dieu dont jouiront les élus au paradis] : Il te fault aux limbes venir, Ame sancte, a Dieu plaisent (...) Illecques varras Dieu vivent, L'ame Jhesus, plaine de gloire (Pass. Auv., 1477, 251). Doleurs pers ; plus ne suis marrie, Pour ce que voy Dieu glorïeux. Je voy aussi mon amoreux, Jhesus, en ame et deïté (Pass. Auv., 1477, 280).

 

-

P. ext. : Vous varrés lumieres fort belles (Pass. Auv., 1477, 113). En veyant ta vertu divine J'ay assés ; je ne veulx plus rien. (Pass. Auv., 1477, 252).

 

b)

[Renvoyant à la rencontre d'êtres spirituels (les âmes des justes dans les limbes)] : ...nous vous manrons en ung lieu Ou vous varrés les sanctz prophetes Et les sanctz peres, esqueulx estes Tramise pour denuncïer Leur saulveur. (Pass. Auv., 1477, 101).

B. -

[Le compl. est une prop. sub. ou une constr. équivalente] "Acquérir la connaissance d'un fait"

 

1.

[Connaissance acquise exclusivement grâce au sens de la vue]

 

a)

[Avec une sub.]

 

-

[Interr. indir. partielle] : Ce foulastre, par mon serment, Helias a appellé par force. Or veyons quel appointement ! (Pass. Auv., 1477, 223).

 

b)

[Avec un subst. accompagné d'un adj., d'un part. passé ou d'un compl. de lieu]

 

-

Voir qqn/se voir + adj./compl. prép. : Helas, il fault que la te die, Fin qu'en vie Tu voyes tes belles amours. (Pass. Auv., 1477, 181). ...aultrement plus fort marrie Seroit, si ne le voit vivant. (Pass. Auv., 1477, 185). Maintenant il fault que vous voye Tout mort en voye (Pass. Auv., 1477, 253).

 

2.

[Connaissance acquise par des moyens divers, éventuellement grâce à une information reçue ou à la suite d'une réflexion]

 

a)

[Avec une sub.]

 

-

[Sub. interr. indir. partielle] : Je vouldroys que du monde ysse, Affin que visse Dedens la lisse - ou (est) vostre ami [l. ame], mon doulx filz (Pass. Auv., 1477, 257).

 

-

[Sub. interr. indir. totale] : Mes seurs, restons ung peu ycy Pour veoir si nous varrons Jhesus. (Pass. Auv., 1477, 265).

 

b)

[Avec un pron.]

 

-

[Pron. neutre le]

 

.

[Tour compar.] : En poine mon filz s'abandonne, Tout ainsi comme Tu l'as veu (Pass. Auv., 1477, 246).

 

c)

[Avec un subst. accompagné d'un adj., d'un part. passé, d'un compl. prép. ou d'un inf.]

 

-

Voir qqc. + adj./part. passé : Ilz ont veu sa devote vie ; Maintenent car riote crie(.) En ses sermons[,] le veulent tuer. (Pass. Auv., 1477, 122). Il fait beau veoir besoigne faicte. (Pass. Auv., 1477, 213).

 

-

Voir qqn + compl. prép. : Or voy je nostre roy en voye, Qu'il employe Corps et ame a perdicïon. (Pass. Auv., 1477, 108).

 

d)

[Avec un subst., voir qqc. équivaut à "voir quel est" ou à "voir que"] : Annas, sire, tresnoble presbtre, Maintenant veyons sa foulie. (Pass. Auv., 1477, 211).

 

e)

[Le compl. est effacé]

 

-

[Tour compar.] : Cestuy [miracle] ne nous est pas permis, Car, come je voy, pouvons croire, Jhesus y veult monstrer sa gloire En luy donnant sancté parfaite. (Pass. Auv., 1477, 160). Lors les gens diront, comme voy, Es montaignhes : "Tumbés sur nous !" (Pass. Auv., 1477, 191).

II. -

[Marque une opinion, un jugement]

 

-

Voir qqc. à. "Être en mesure d'émettre un jugement sur une chose en considérant tel trait caractéristique" : Dieu t'a tramis en ceste place ; Tu es son filz ; j'en voy la trasse A ta face, Venu des cieulx pour tous saulver. (Pass. Auv., 1477, 131).

III. -

[Marque l'attention que le sujet porte à un objet]

A. -

[Avec un compl. nom.]

 

1.

[Sens concr., faisant réf. au regard ; le compl. désigne une pers. ou une chose concr.] "Diriger les yeux sur qqn ou qqc." : En riens certes ne le cognoiz ; Je cuide que ce n'est pas luy, Car mon filz est bien plus joly. Pour le mieulx veoir, advansons nous. (Pass. Auv., 1477, 190). Actendés ung peu, que le voye. (Pass. Auv., 1477, 192).

 

-

En partic. [Formule d'invocation] Dieu le voie ! : De toute rayson se desvoye. Dieu le voye Et le gart de desperacion ! (Pass. Auv., 1477, 108).

 

-

Voir un écrit : D'Isaye j'ay veu l'escript Que de Messïas parloit (Pass. Auv., 1477, 120).

 

-

Voir (un spectacle, une représentation théâtrale) : Souverain Dieu, de cuer vous prie Pour ceulx qui sont mes amoreux (...) Et especïelment tous ceulx Qu'ont veu la passion vostre filz ! (Pass. Auv., 1477, 280).

 

2.

[Sens abstr. ; le compl. désigne une chose abstr.] "Porter son attention sur qqc., éventuellement pour examiner cette chose, l'étudier, y réfléchir" : J'ay alheurs paraboles mis, Lesqueulx voyans aveugles sont, Et en ouyant sourtz deviendront. [Réf. à Luc 8, 10] (Pass. Auv., 1477, 137).

B. -

[Avec une sub.]

 

-

[Sub. interr. indir. partielle] : ...or alons veoir En quel lieu farons les partuis. (Pass. Auv., 1477, 194).
 

Passion d'Auvergne Jean-Loup Ringenbach


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