C.N.R.S.
 
Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500)

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     OEIL     
FEW VII oculus
OEIL, subst. masc.
[GDC : oil ; DÉCT : ueil ; FEW VII, 310-313a : oculus]

A. -

Au propre. "Organe de la vue" : Les portes et les fenestres et verrieres sont les V sens corporelz, les yeulx, les oreilles, la bouche et autres. (GERS., Purif., 1396-1397, 63). Comme par exemple nous veons en ung miroir ou en [ung] oeil : se ilz sont chassieux de boue et d'ordure l'oyeil ne puet riens veoir, et ou mirouer on ne puet riens apparcevoir. (GERS., Trin., 1402, 153). ...nostre entendre et entendement comparé à celle lumiere a quelle nulle creature ne puet attaindre ne approcier beaucop moins que l'ueil de la chuette ou de la caudsoris au soleil, comme dist le philosophe Aristote (Somme abr., c.1477-1481, 133). Cestui predist la venue d'aucuns monstres, comme ung veau à trois testes, ung poussin à IIII piez, ung enfant d'une chambriere né à IIII piez et IIII yeux. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 65 r°). Fut celui qui deffendit l'usage du pavot, en tant que touche les maladies qui peust venir aux yeux et aux oreilles. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 74 r°). ...ung enfant sans yeulx ne mains ne piez et lequel de la sainture en bas estoit poisson (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 102 v°). ...et de l'eaue qui en yssit [d'un bloc de glace portant l'image de la croix], après qu'elle fut fondue, en fut lavé les yeux d'un religieux aveugle et incontinent lui fut rendue la veue. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 124 r°).

 

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[P. oppos. à oeil espirituel] Oeil corporel : ...qui pourroit regarder des yeulz corporelz dedans l'ame, bien sembleroit estrange chose et bien hydeuse, de pourmener ainsi ung mort ou sepulcre d'enfer ! (GERS., Purif., 1396-1397, 67). Nous scavons que une chose de petite congnoissance ne puet attaindre a ce que puet congnoistre la vertus, qui est de plus haulte congnoissance, comme l'oyeil corporel ne pourroit veoir ce que congnoist l'imaginacion par dedans, et l'imaginacion ne pourroit comprendre ce que je, Raison, congnois. (GERS., Trin., 1402, 158).

 

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Crever les yeux : ...et les prebtres fist occire, synon Josedeph à qui il fist pardon, puis fist crever les yeux à Sedechyas et le fist mener en Babillone et laissa paisible Jeremie et Baruch, son notere. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 44 r°). Cestui fut disciple de Platon et fut le cinquiesme phillozophe qui se creva les yeulx, pour mieulx sçavoir science par son entendement. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 54 r°). ...lequel Juif il fist rançonner pour chacune de ses dens ravoir à cent mille royaulx d'argent, et, quant eut toute sa chevence, il lui fist crever les yex, copper la langue, puis tenailler, puis escarteller et pendre. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 142 v°).

 

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Loc.

 

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Avoir l'oeil à faire qqc. "Être vigilant, faire attention" : Et ad ce propox, puis XXX ans en ça, de bonne sounance, j'ay eu l'ueil à observer les nativités de plusieurs filz et filles et les ay notées, mais j'en voy et ay veu advenir d'iceulx selon la disposicion celeste (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 53 v°).

 

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En un battre d'oeil. "En un clin d'oeil" : Et est tout compli, et tantost que l'evesque ou le prestre est desvestus de ses ornemens, visiblement la belle dame a toute sa belle compaignie se part en un batre d'eul (MÉZIÈRES, Vertu sacr. mar. W., c.1384-1389, 390). Lesquelles chambrieres en un batre d'oeil s'esvanouirent de la presence de tous les assistens, et tost apres aussi comme un ung moment elles revindrent. (MÉZIÈRES, Songe vieil pèl. C., t.1, c.1386-1389, 306). A ce respondent les folz astronomiens et dient que la constellacion et vertu des planetes a la nativite de aucun a sa puissance en un moment et en un batre d'oeil et en un point. (MÉZIÈRES, Songe vieil pèl. C., t.1, c.1386-1389, 613).

 

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Sans battre l'oeil ni encliner les oreilles. "Sans difficulté, sans tergiverser" : ...ta personne royalle (...) a tous conseilliers de non donner la matiere, non pas obscure mais bien clere, de faire un beau latin, c'est assavoir sans batre l'oeil ne encliner les oreilles de dire pure verite hardiement aussi et sans aucun regart, a la lectre, sans souspecon ne aucune palliacion. (MÉZIÈRES, Songe vieil pèl. C., t.2, c.1386-1389, 344).

 

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Soi montrer à l'oeil. "Être visible" : ...parce qu'il l'ignore et aussi la bonté de l'arbre et les branches où il est cuilly et les profondes raisons de la fertillité dudict arbre et les grandes experiences, qui de jour en jour se pevent monstrer à l'ueil, et ainsi l'a volue faulsement, soubz une couverture de bigotterie, la nommer et appeller art divinatoire (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 5 r°).

 

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Passer devant les yeux. "Passer sous les yeux ; avoir l'occasion de voir" : Toutes lesquelles choses sont trop puerilles à debatre, car s'il vouloient bien considerer et veoir ce que souvant leur passe devant les yeulx, ilz trouveroient que en la translacion de la saint Escripture y a plusieurs noms bien estranges qui sont demourez, puis en ebrieu, puis en grecq (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 7 r°).

 

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Voir à l'oeil. "Voir à l'oeil nu ; voir clairement" : "Nous veons a l'oeil que aucuns enfans et plusieurs bien aagiez et profés en saincte religion sont venus a celle ha[r]diesse et aussi acoustumee rebellion que ilz se lievent contre leurs souverains en tant que correction n'y a point d'audience ne de lieu..." (Horloge de sapience S., c.1389, 81). Et quer je n'ay icy a parler que de l'estat de noblesse ou de seignourie principalment, et nous veons a l'oeil les greifs et horribles maulx qui en viennent partout (GERS., Annonc., a.1400, 238).

 

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P. ell. Par un seul oeil. "D'un coup d'oeil ; en un instant" : Quartement tu congnoys par ung seul oeil le mouvement du temps passé, du present et du futur, sans toy mouvoir ; pourquoy ne pourra Dieu congnoistre toutes choses estre muables sans sa mutacion ? (GERS., Trin., 1402, 162).

 

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Voir de ses yeux : J'ay veu de mes yeux à Padue ung puis, lequel puis le vulgal tient que icelui de Ebano fist transporter de lieu en autre et est à present en place publique et est fait en maniere d'une cuve à baigner. (SIMON DE PHARES, Astrol., c.1494-1498, f° 132 r°).

 

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Frotter d'une plume les yeux de qqn. "Flatter qqn, l'aveugler" : "...Il semble", dist la chambriere Hardiesse, "que le roy et les princes du royaume de telz officiers et maistres de deniers soient enchantez qui seuffrent que leurs yeulx soient frotez d'une plume par telx officiers en tous temps, et en yver et en este, voire ou prejudice de la chose publique et de la royalle mageste..." (MÉZIÈRES, Songe vieil pèl. C., t.1, c.1386-1389, 458).

 

Rem. Cf. DI STEF., 599c, s.v. oeil.

 

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Trainer la penne par l'oeil. V. penne1

 

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[Dans un cont. nég.] Pour/sur les yeux de la teste. "Pour rien au monde" : Et preschent a haulte voix qu'ilz sont tousjours tous prestz de rendre compte. Voire a qui ? A ceulx qui sont de leur mestier, qui ne les oseroient reprendre ne courroucier pour les yeulx de la teste ne les contreroler aussi ? Car en ce cas il se puet dire le proverbe : Tel my, tel ty. (MÉZIÈRES, Songe vieil pèl. C., t.1, c.1386-1389, 459). ...et apres lui [le sultan] les admiraulx qui sont parez chacun en son degre sans contrefaire sur les yeulz de la teste le noble et solennel habit du souldan. (MÉZIÈRES, Songe vieil pèl. C., t.2, c.1386-1389, 210).

 

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Adresser son oeil (à une femme). "La convoiter" : Garde bien, Beau Filz, que tu n'aproches a la porte de sa maison, et ne donne pas a autrui ta gloire, mais boy l'eauue de ta propre cisterne et te delicte en une joye amoreuse avec la fame de ta jeunesse, c'est assavoir avec ta tresamee compaigne et gracieuse espouse la royne, qui te soit tresamee. Ne a nulle autre tu n'adroisses ton oeil. (MÉZIÈRES, Songe vieil pèl. C., t.2, c.1386-1389, 160).

 

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(Garder qqc.) comme la pimpenelle/prunelle de l'oeil : Honoure Dieu tant come tu pourras, garde les commandemens de moy et de ma suer Verite, come la pimpenelle de ton oeil affin qu'il t'en souveigne, lye les en ton doy. (MÉZIÈRES, Songe vieil pèl. C., t.2, c.1386-1389, 160). "Beau Filz", dist la royne, "se de bon cuer et de fait tu soustiendras et relieveras les pauvres, soies certains que Dieu te soustiendra et multipliera ta gloire et te gardera comme la prunelle de l'oeil encontre tes ennemis..." (MÉZIÈRES, Songe vieil pèl. C., t.2, c.1386-1389, 324).

 

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Jusques aux yeux. "Jusqu'au cou" : ...et [l'âme] voit les maulz qui toujours croissent, especiaument aujourdui, entre lesquelz elle est plongie jusques as ieux, et maugré lui faisant son pelerinage (MÉZIÈRES, Test. G., 1392, 301).

 

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Prov.

 

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[P. réf. à Matth. VII, 3-5] Tref/festu de l'oeil. "Poutre/paille dans l'oeil" : Je vous requier et supplie une chose : vous qui, en nom du clergié, la vie dez chevaliers reprovés, jouxte lez paroles de l'Euvangile : "Ostés le trief de l'uyel dez clers, avant que vous efforciés d'oster le festu de l'ueil dez chevaliers". (Songe verg. S., t.1, 1378, 17).

 

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L'oeil du seigneur maintient l'hostel. "La vigilance du maître est nécessaire" : Mais, sire, il convient mettre la main a l'oeuvre : L'ueil du seigneur maintient l'ostel ; Oeuil de servant ne feroit autel. (GERS., Noël, p.1404, 311).

 

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[P. réf. à Lév. XXIV, 20] Oeil pour oeil : ...que la sentence du Vieil Testament fust accomplye (...) qui dit : Dent pour dent, oeyl pour oeyl, et pie pour pie. (MÉZIÈRES, Songe vieil pèl. C., t.2, c.1386-1389, 302).

B. -

P. anal.

 

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L'oeil du monde. "Le Soleil" : Et pour ce saint Ambroise, en son Exameron, descript les vertus du soleil et dit ainsi le soleil "l'ueil du monde, la joye du jour, la beaulté du ciel..." (CORBECHON, Soleil Lune S., 1372, 345). Le Soloil, tiercement, est tres merveillable pour sa luminosité incomparable, car il tout seul, comme fontaine de lumiere, enlumine le monde, le ciel et la Terre aussy bien dessus lui comme dessoubz. Et pour ce est il d'aucuns appellé l'ueil du monde. (EVR. CONTY, Harm. sphères H.P.-H., c.1400, 17).

 

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[À propos de plumes d'oiseaux] "Ocelle" : Nous devons donc savoir que le paon est un tres bel oysel entre les autres et gracieux et net et aournez esmerveillablement de pluseurs belles plumes (...) ; et sy a la queue longue et toute plaine d'yeulx, en laquelle il se glorifie et se resjoist moult. (EVR. CONTY, Eschez amour. mor. G.-T.R., c.1400, 752).

C. -

Au fig. [L'oeil en tant qu'instrument du jugement et de l'attention]

 

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[P. oppos. à oeil corporel]

 

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Oeil espirituel : Et est encores tres plus grant miracle quant je en puis mesmes riens apparcevoir, nez mesmes en umbraige et en miroir, mais c'est par sa vertus et par sa lumiere qui raye et resplandit aucunement sur mes yeulz espirituelz, et sur toy, mon Ame, qui es le miroir et l'image pour congnoistre la Divinité. (GERS., Trin., 1402, 158). Car quant on s'efforce d'y entendre et que on tourne son oeil espirituel hors du miroir de l'ame, on ne voit riens, se non par especial miracle ou tres soudainement, comme est l'epartissement du tonnoirre. (GERS., Trin., 1402, 169).

 

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Yeux de l'ame/yeux du coeur/yeux de la pensée/yeux de raison/... : "O tres doulx et tres begnin Saint Esperit (...), le vray et seul ami qui ne failliez au besoing, maintenent devant les yeulx de vostre misericorde, devant le throne de vostre haulte majesté, je fais ma complainte et ma querelle..." (GERS., Pent., p.1389, 74). O tu, aveugle charnalité, se tu pouoyes ouvrir les yeulz de ta pensee, et regarder en la lumiere de vraye foy le bien, le louyer, le royaume et la gloire en laquelle sont entrés saint Pierre et saint Pol (GERS., P. Paul, a.1394, 491). Et se l'auctorité ne vous souffist, eslevez, je vous pry, les yeulz de vostre pensée et regardez en la lumiere de vraye foy la gloire des sains et sainctes desquelz nous feismes hyer solennité. (GERS., Déf., 1400, 219). Eslevons, nous, doncques maintenant les yeulz de noz ames, qui sont par dedans nous. Regardons en la clarté de vraye foy et creance les ames des trepassez qui sont en la prison de purgatoire, par especial celles de noz amis. (GERS., Déf., 1400, 226). Vray est que Raison n'estoit pas seule, ainsoys avoit pris avec elle Foy, la bonne crestienne, qui alumoit les yeulz de Raison et de l'Ame a mieulx congnoistre ce qui reluisoit ou miroir et en l'imaige de l'ame (GERS., Trin., 1402, 166). Ouvrez les yeulz maintenant de vostre cuer, et par le jour de vraye foy regardez cest enfant au jour d'uy nez : le veez vous ? Y pensez vous ? (GERS., Noël, p.1404, 295). Ainsy me sembloit parler Orgueil, quant je apparceu en tournant les yeulz de la pensee vers Male Voulenté que elle se muoyt en maintes guises (GERS., Noël, p.1404, 304).

 

Rem. Cf. Éd., 118 : «C'est un écho de la distinction psychologique habituelle au moyen âge entre oculus carnis, oculus rationis et oculus contemplationis» qui se transmet depuis Boèce et dont Hugues de Saint-Victor est le principal représentant.

 

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Loc.

 

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À yeux ouverts. "Attentivement" : Advisez, je vous supplie, a yeulz ouvers, regardez laquelle amour est plus desirable ou a eslire : celle de Dieu ou celle du monde (GERS., P. Paul, a.1394, 516).

 

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Tourner les yeux à qqc. "Diriger son attention vers qqc. ; considérer qqc." : Que veult ce dire ? Il ne convient ja aler trop loing pour en avoir la response ; tournons les yeulx a nostre theume, regardons qu'il dit. Il dit que paix soit aux hommes ; mais ausquelz hommes ? (GERS., Noël, p.1404, 302).
 

Littérature didactique Hiltrud Gerner

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