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homo oeconomicus, subst. masc.

Étymologie
Histoire :
« homme économique ». Attesté depuis 1890 [compte rendu de Charles Gide1 des Principii di economia pura de Pantaleoni] (RevEcPol, 4e année, pages 325‑326 : L'homme type qui se trouve ainsi construit de toutes pièces, conformément au principe édonistique, l'auteur l'appelle homo œconomicus. Cet homme‑là peut‑il nous servir à quelque chose dans la pratique pour travailler au bien‑être des hommes de chair et d'os ? Les adversaires de l'école déductive le nient, mais ils ont tort : sans doute l'homo œconomicus ne ressemble pas plus à cet être infiniment complexe qui est vous ou moi, qu'un squelette à un corps vivant. Mais de même que le médecin ou le physiologiste ne peuvent guère se passer, soit qu'ils veuillent étudier les lois de l'organisme humain, soit qu'ils aient à le guérir, de quelque squelette suspendu dans leur armoire qu'ils regarderont à l'occasion – de même, il est bon que l'économiste possède, dans quelque loge de son cerveau, un homo œconomicus bien construit auquel il se référera de temps en temps et qui lui servira à dresser ou à modifier ses plans de réforme sociale. A ce point de vue, il ne faut pas dédaigner les économistes qui font de la science pure, d'autant moins qu'elle exige en somme une plus grande puissance intellectuelle que l'économie appliquée). Cf. encore : Journal des économistes, cinquante‑troisième année, janvier à mars, 1894, page 75 [compte rendu d'un numéro du Giornale degli economisti] : Enfin M. Montemartini cherche à définir l’épargne. L'auteur présente un article très savant, preuve : c'est l'homo oeconomicus qu'il considère. Cette abstraction n'était connue jusqu'à présent qu'en anglais (the economic man) c'était déjà de trop ; Le Devenir social, 1 (1), 1895, page 849 : La science économique classique avait imaginé l’homo oeconomicus ; en réalité, comme nous l’avons montré, elle avait en vue l’homo oeconomicus de la société capitaliste ; Rev. Univ. Brux., 1896, page 613 : C’est ainsi que les économistes classiques avaient imaginé l’homme économique ou plutôt l’homo oeconomicus, car on lui avait fait l’honneur insigne de lui donner un nom latin, sans doute pour faire pendant à l'homo sapiens des naturalistes. - 

Origine :
Transfert linguistique : emprunt du néolatin homo oeconomicus subst. masc., dénomination de l'homme économique chez les économistes classiques du dernier quart du 19e siècle. Il n’est pas chose aisée de déterminer à quelle langue européenne le français a emprunté cette expression latine, étant donné qu’elle est attestée avec antériorité tant en anglais (1883, OED3) qu’en italien (1889, Maffeo Pantaleoni, Principi di economia pura. Firenze : Barbèra, p. 67) et à la même date pour l'allemand et le français (1890, Jahrbücher für Nationalökonomie und Statistik 55, p. 94). Il s'avère que les deux attestations les plus anciennes citées ci‑dessus se trouvent dans des comptes rendus de textes italiens. — L’expression a d’ailleurs déjà été en usage en latin moderne pour se référer à l’homme en tant qu’administrateur circonspect de ses biens (maison, ferme, domaine rural). Ainsi, Estienne, Français3, 1549, p. 380 traduit « Ung grand mesnagier » par « Homo oeconomicus ». Luther avait écrit pour sa part : « […] quod Homo politicus aut oeconomicus non æternaliter seu assidue Deo seruire possit, Quia occupatur officijs domesticis et publicis » (Martin Luther, Opera omnia, tomus secundus, Iéna : Rebarth 1581, p. 565). Cet usage remonte au grec ancien, à traver les traductions d’Aristote : « Hi igitur omnes, qui existimant, hominem politicum (ad regalem potestatem aptum), et oeconomicum (rei familiaris tuendae facultate praeditum), et despoticum (qui servis imperare sciat), eundem esse, minus recte dicunt […] » (Pol. I, I, 2). Malgré la différence de sens, il n'est pas interdit de penser que cet usage ait fourni la formule à l’économiste anonyme qui l’a introduite avec le sens moderne vers la fin du 19e siècle. Mais on ne peut pas exclure non plus que l’expression soit née par voie analogique sur le modèle d’autres termes techniques composés avec homo, tel l’homo sapiens linnéen ou d’autres expressions du même genre, comme le soupçonnait l'auteur de la dernière citation ci‑dessus. Le concept exprimé par homo oeconomicus est, bien sûr, plus ancien que l’expression même. Il est courant du moins depuis le 18e siècle. — Avant d’utiliser le latinisme, le français s’était déjà servi de l’expression homme économique. On trouve un premier exemple où le sens semble bien être celui de la science économique en 1866, chez Alexandre de Metz‑Noblat, Discours d’ouverture du cours libre d’économie politique. Nancy : Vagner, p. 20 : « Cela signifie, messieurs, que l’homme économique n’est pas l’homme tout entier ; cela signifie que l’homme apporte, jusque dans la conduite de ses intérêts, des mobiles de l’ordre moral, qui influent sur ses actes économiques et les arrachent à l’empire exclusif des lois formulées par la science, sans néanmoins les infirmer et les détruire ». L’expression a toujours vécu à côté de la formule latine ; cf. Journal des économistes, cinquante‑deuxième année, avril à juin 1893, p. 107 : « M. Léon Poinsard est aussi de ceux qui reprochent aux économistes libéraux de ne considérer que l’homme économique, de l’avoir créé même » ; Christian Laval, L’homme économique. Essai sur les racines du néolibéralisme, Paris, Gallimard, 2007. Il est possible que cette expression ait été calquée sur l’anglais Economic Man, qui ne semble pas attesté avant 1876, Francis Amasa Walker, The wages question, Londres, Macmillan, p. 190 : « To apply to human beings in their condition, maxims derived from the contemplation of the Economic Man, is little less than preposterous ». À ajouter FEW 4, 457b, homo, ‑ine II1.

 
1   Charles Gide (1847‑1932) est un célèbre économiste et enseignant français, auteur d'un ouvrage intitulé Principes d'économie politique, qui a connu 26 éditions entre 1884 et 1931.


Rédaction TLF 1981 (s.v. homo B. 3.) :  - Mise à jour 2021 : Franz Rainer ; Jean-Paul Chauveau. - Relecture mise à jour 2021 : Nadine Steinfeld.


Première mise en ligne : 14 avril 2022.

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