Étymologie Histoire : A. 1. « période pendant laquelle la partie visible de la lune se développe, croît progressivement ». Attesté depuis 1er tiers 12e siècle ().Selon le FEW 2, 1324a le mot apparaîtrait avec cette valeur pour la dernière fois en 1636 (Monet, Inventaire), mais en réalité on en trouve des attestations continûment jusqu'aux 20e et 21e siècles ; cf. Estienne, Agriculture, 1570, page 134 : Le premier iour du croissant fait bon planter & semer ; La Daillhière, Entretiens, 1688, page 10 : comme au déclin de la Lune cette matiére est chaude, elle produit ordinairement des Garçons, tout au contraire qu'elle produit ordinairement des Filles pendant le croissant : parce qu’alors cette matiére est humide, et froide ; Ann. Soc. roy. agric. bot. Gand, volume 1, 1845, page 468 : M. Sauer est d'avis que le bois coupé pendant le croissant est sujet aux vers, à la vermoulure, tandis que celui coupé pendant le décours est durable ; RevTradPop, tome 8, 1893, page 94 : Le fermier dans ma commune mène la vache au taureau, la jument à l'étalon pendant le croissant, s'il veut que les produits soient des mâles, et pendant le décours s'il désire des femelles, […] ; Alain, Propos, 1923 ds TLF, cf. supra, synchronie) ; Lépine, Un diamant, 2000 : La lune en son croissant m'éclaire avec beaucoup de pudeur. - A. 2. « aspect d'un cercle bombé d'un côté et concave de l'autre que prend la partie visible de la lune au début et à la fin de son développement ». Attesté depuis ca 1227 ().Cf. aussi 2e moitié 13e siècle, AubS 513 ds DFM et TL : Li croisans ert levés, Dont par le bos est grande la clartés. — Nous faisons remarquer qu'il s'agit d'abord seulement de la forme échancrée de la lune pendant qu'elle croît. Depuis quand le croissant de lune décroissant est aussi appelé ainsi, on ne peut pas l'établir avec certitude. Ce sémantisme est expressément attesté depuis Richelet 1680 : croissant, s. m. C'est la lune qui paroit sous la figure d'un croissant. - A. 3. b (héraldique) « emblème qui a la forme d'un croissant, d'une demi‑lune ». Attesté depuis ca 1276 ().Cf. aussi ca 1280, Eight Rolls 73, 139 ds AND2, cressant : l'escu de azur od treis cressantes d'or ; 1300, Eight Rolls 109, 369 ds AND2, cressant : en la baniere inde portoit Les croissans de or enluminez ; ca 1400, Evr. Conty, Eschez amour. mor G.‑T.R., 632 ds DMF 2020 : L'acteur donc dit que le premier des paonnés que celle avoit de sa partie, qui contre ly avoit le gieu empris, lequel estoit assiz devers sa dextre main, avoit en son escu par maniere d'enseigne une lune nouvelle ou un croissant, qui assez proprement segnifie jonesce, pour la similitude que jonesce a a la lune nouvelle ; Girinot, Triomphe des haultes vertus, 1558, page 26 : Belle deuise Croissant bien conforme aux vertus de nostre Prince ; La Croix du Maine, Premier volume, 1584, page 431 : Ledit René d'Anjou institua l'ordre des Cheualiers du Croissant en l'an 1464 ; Geliot, Indice armorial, 1635, page 147 : Clouis porta trois croissants que du Tillet prend pour les vrayes armes de ce Prince. - A. 3. a « emblème qui a la forme d'un croissant, d'une demi‑lune (en se référant au monde musulman, à l'empire ottoman ou la Turquie) ». Attesté depuis 1608 (). - B. « forme d'un croissant de lune, objet en forme de croissant ». Attesté depuis 2e quart 13e siècle ().Cf. aussi ca 1268, LMestL, titre LXXIX, VII : Nus Chapuisieres [charpentier en bois pour la selle] ne puet metre croissant de fust en arçon ne en hauve [= auve désignant une partie de la selle], en quelque liu que ce soit, ne en quelque arçon ne en quelque hauve que ce soit ; 1379‑1391, Invent. mobilier Ch. V, L., 50‑51 ds DMF 2020 : Item, un croissant, à ung balay, quatre saphirs, deux dyamans, deux grosses perles et vingt autres, ouquel fault les deux dyamans ; pesant quatre onces et demie ; 1387, Comptes argent. rois Fr. D.‑A., II, 200 ds DMF 2020 : […] une branche de geneste de broderie, assise au dessoubz de la manche senestre en manière d'un croissant ; Le Grain, Décade, 1614, page 210 : Il sembloit que le Duc de Mayenne eust prins patron sur le plan de l’armée du Roy en ce qui concernoit la forme, car elles estoient toutes‑deux en Croissant qui est vne forme bonne pour ceux qui n’ont gueres de gens, & veulent parestre en grand nombre. Les deux pointes du Croissant de la Ligue estoient plus aduancées & plus espêsses que celles du Roy parce qu'elle auoit deux fois autant de Soldats que sa Majesté ; Richelet 1680 : Croissant. Terme de Lutier. Enfoncement fait en forme de demi‑cercle aux côtez des violons, des violes, & basses de violes. &c. ; Croissant. Terme de Taillandier. Petites branches de fer poli faites en forme de croissans, qu’on séelle au dedans des jambages des cheminées pour tenir la pelle, les tenailles & les pincettes ; Dézallier d'Argenville, Jardinage, 1709, page 161 : Pour bien entretenir les palissades, […] il les faut tondre & les serrer de près des deux côtés, avec le croissant pour les grandes, & avec les ciseaux pour les petites, […] ; Winslow, Exposition anatomique, 1732, page 495 : Le Croissant de l'Ongle et le Repli de la Peau sont à contre sens l’un de l’autre ; Ann. mar. colon., 23 année, 2e série, partie non officielle, tome 2, 1838, page 1263 : il faudrait aussi que les bâtiments fussent munis de plusieurs croissants de rechange ; MémAgrÉco, année 1850, page 588 : Enfin plusieurs boulangers, à Londres, ont des ouvriers français et préparent les pains usuels de Paris, sans obtenir généralement des produits aussi beaux ni aussi bons à beaucoup près. Je n’ai rien trouvé d’assimilable, en ce genre, à nos premières qualités de pains blancs fendus, à nos pains dits à café, à nos petits pains de fantaisie dits viennois, de dextrine, de gruaux, croissants. -
Origine : A. 1. Formation française : conversion du participe présent creissant/croissant. La classification proposée ici comme pis‑aller pour le mécanisme qui a abouti à la création du substantif creissant/croissant au sens de A. 1. en ancien français est incertaine. Les dictionnaires étymologiques ne se prononcent pas sur la question. Qui plus est, ils ne semblent même pas avoir vu le problème. L'ancêtre lointain de l'expression est certainement à rechercher dans l'expression latine luna crescens, mais une simple explication par ellipse de luna/lune ne rendrait pas compte du genre masculin du mot. Il est possible que l'évolution soit passée par le stade intermédiaire du syntagme adverbial la lune croissant, qui rend le syntagme latin à l'ablatif luna crescente, attesté depuis Varron. Dans le français du Moyen Âge, la forme participiale creissant/croissant valait tant pour le masculin que pour le féminin. Il est possible que cette ambiguïté quant au genre ait favorisé le passage au masculin du substantif, tout comme le genre masculin d'autres termes du même champ sémantique, notamment les antonymes déclin et décours. Il convient aussi peut‑être de tenir compte de soleil couchant et le couchant, utilisé dès le 13e siècle pour indiquer l'ouest. Il est difficile d'apporter une réponse définitive à cette question, puisque le passage se situe en période prélittéraire et que le latin médiéval ne semble pas non plus présenter de matériaux aptes à éclaircir les modalités du passage du participe au substantif masculin. La variation du genre des substantifs en anglo‑normand (cf. A. 3. b / B.) est une caractéristique de ce dialecte qui prouve seulement que les locuteurs étaient bilingues. Cf.von Wartburg inFEW2, 1324a, crescereI1. A. 2. Formation française : issu par évolution sémantiquede l'acception A. 1 . Tout comme l'explication étymologique de l'acception A. 1., celle pour A. 2. doit aussi rester hypothétique. Selon la chronologie des attestations disponibles, l'acception A. 1. est la plus ancienne des deux, avec un décalage d'un siècle. D'un point de vue purement sémantique, il pourrait paraître plus simple de voir dans l'acception A. 1. une extension métonymique de l'acception A. 2. Mais une telle interprétation ne ferait pas disparaître le problème central d'expliquer le passage au genre masculin. Cf.von Wartburg inFEW2, 1324a, crescereI1. A. 3. b Formation française : issu par évolution sémantiquede l'acception A. 2., par simple extension analogique (relation iconique objet‑image de l'objet, similarité de forme). À ajouter FEW2, 1324a, crescereI1. A. 3. a Formation française : issu par évolution sémantiquede l'acception A. 2., selon le mécanisme décrit dans A. 3. b. L'emblème de l'empire ottoman a été utilisé parfois métonymiquement pour l'empire même. Cf.von Wartburg inFEW2, 1324a, crescereI1. B. Formations françaises : issu par évolution sémantiquedu sens « croissant de lune », sur la base d'une similarité de forme (A. 2.). — Les attestations relevées ne constituent qu'un choix des multiples extensions métaphoriques, qui se sont produites à différentes époques. En ce qui concerne le terme de boulangerie, attesté depuis 1850, il pourrait représenter tout simplement une extension métaphorique de plus basée sur la similarité de forme, et telle est effectivement l'interprétation qu'en donne Jim Chevallier dans son ouvrage August Zang and the French Croissant. How viennoiserie came to France (2e éd., North Hollywood: Jim Books 2009). Il qualifie de mythe l'histoire selon laquelle les croissants auraient été introduits en France par Marie‑Antoinette et qu'ils devraient leur nom au fait que ces petits pains auraient été créés par les boulangers viennois après la levée du siège de Vienne par les Turcs en 1683, pour se moquer de l'emblème ottoman. Cette dernière partie de l'histoire est certainement une légende, puisqu'on trouve déjà avant 1683 des petits pains de la forme du croissant. Mais puisque cette légende a été très populaire, rien n'interdit de penser qu'elle ait accompagné l'introduction à Paris de ce petit pain viennois, qui en allemand autrichien s'appelle Kipferl, et qu'elle ait influencé le choix de la dénomination française (Kipferl est un mot synchroniquement opaque). La vraie mode de ce petit pain de luxe autrichien ne commença à Paris qu'aux environs de 1840, quand August Zang ouvrit une boulangerie viennoise au 92 rue de Richelieu. Mais nous savons aussi que Marie‑Antoinette, lors de son mariage avec le dauphin de France en 1770, avait emmené avec elle à Paris son boulanger personnel et qu'elle avait la coutume de prendre comme petit déjeuner du café avec « une sorte de pain auquel elle avait été accoutumée dans son enfance à Vienne », comme l'écrit dans ses mémoires Mme Campan, sa femme de chambre. Sur la nature de ce pain et sur le nom qu'on lui donnait à Versailles, on ne peut que spéculer. Le premier témoignage sur cette question nous vient d'une histoire de la boulangerie autrichienne en France publiée en 1896, dont l'auteur note en incise : « Les croissants se fabriquaient rue Dauphine depuis 1780, ils avaient suivi Marie‑Antoinette » (Scheibenbogen, Cuisine, p. 110). Ces croissants à l'autrichienne, d'ailleurs, se distinguaient nettement des croissants français actuels : selon une recette de 1856, « [l]e liquide employé pour former la pâte avec un kilogramme de farine se compose d'un ou de deux oeufs battus et mêlés avec environ 500 grammes d'eau » (Payen, Substances alimentaires, p. 179). Ce n'est que vers la fin du siècle que les boulangers français ajouteront du beurre pour faire une pâte feuilletée. C'est sous cette forme affinée que le croissant français conquerra le monde. Pour plus de détails, cf.Rainer, RLiR 71, 467‑481. Cf.von Wartburg inFEW2, 1324a, crescereI1.
Rédaction TLF 1978 : Équipe diachronique du TLF. - Mise à jour 2022 : Franz Rainer ; Nadine Steinfeld. - Relecture mise à jour 2022 : Jean-Paul Chauveau ; Jean-Loup Ringenbach ; May Plouzeau.
Première mise en ligne : 14 avril 2022. - Dernière révision : 31 mai 2022. - Mise en ligne : 02 juin 2022.