C.N.R.S.
 

DÉRom en anglais
 
Dictionnaire Étymologique Roman
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*/ɪn‑kaˈβall‑ik‑a‑/ v.intr./tr. « (faire) prendre place sur le dos d’un cheval ; être positionné de manière à avoir la jambe gauche d’un côté (de qch.) et la droite de l’autre côté ; s’accoupler (avec une femelle) »

I.1. Sens « monter en selle » (emploi intransitif)
*/ɪn‑kaβall‑iˈk‑a‑re/ > dacoroum. încăleca v.intr. « prendre place sur le dos d’un cheval, monter en selle » (dp. 1563/1583, DA/DLR ; Tiktin3 ; EWRS ; Candrea-Densusianu n° 213 ; Cioranescu n° 4370 ; MDA), méglénoroum. ăncălicári (Candrea,GrS 3, 179 ; CapidanDicţionar ; Saramandu,FD 29, 97), aroum. ncálic (Pascu 1, 55 ; DDA2 ; BaraAroumain)1, agn. ˹enchevacher˺ « aller à cheval, chevaucher » (mil./fin 14e s. [enchivachant part. prés.] – av. 1382 [s’enchevacha prét. 3 pron.], ANDEl)2, esp. encabalgar (dp. 1732, Autoridades ; DRAE22 [archaïsme]), ast. encabalgar « monter en selle » (dp. 19e s., DELLAMs ; DGLA)3, agal. encabalgar/port. encavalgar « chevaucher » (dp. 1240 [Achei Sancha Anes encavalgada], TMILG ; DDGM ; DELP3 ; Houaiss ; CunhaVocabulário2).

I.2. Sens « faire monter en selle » (emploi transitif direct)
*/ɪn‑kaβall‑iˈk‑a‑re/ > dacoroum. încăleca v.tr.dir. « mettre sur le dos d’un cheval, faire monter en selle » (dp. 1766, DA), afr. enchevaucher « fournir un cheval (à qn.), munir (qn) d’un cheval » (déb. – 2e m. 13e s., TL ; Gdf ; FEW 2, 6b), aoccit. encavalcar (av. 1126 [encavalguatz part. p. m.pl.] – 1272, AppelChrestomathie 94 ; Raynouard ; FEW 2, 6b), cat. encavalcar (dp. 2e m. 13e s. [molt bé encavalcat part. p.], CICA ; DCVB), esp. encabalgar (dp. 1487/1488, CORDE ; DRAE22).

II.1. Sens « être à califourchon (sur) » (emploi transitif direct) [> « mettre en bonne position »]
*/ɪn‑kaβall‑iˈk‑a‑re/ > sard. inkaḍḍikare v.tr.dir. « être positionné de manière à avoir la jambe gauche d’un côté (de qch.) et la droite de l’autre côté, être à califourchon (sur) » (DES s.v. kaḍḍikare ; PittauDizionario 1 s.v. incaddare), dacoroum. încăleca (dp. 1688, Biblia (1688)3 597 ; DA/DLR ; CADE ; MDA ; DGS ; NALR – O 322 p 940 [drum încălecat loc. nom. n. « carrefour »]), aroum. ncálic (DDA2), it. incavalcare (dp. 1399 [atosc./avén. s’encavalca pron. prés. 3 « se met à califourchon (sur) »], TLIOCorpus ; GDLI ; LEI 9, 67-68)4, occit. ˹encavaucar˺ pron. « se positionner de manière à avoir la jambe gauche d’un côté (de qch.) et la droite de l’autre côté, enjamber » (FEW 2, 6b-7a [viv.-alp. prov. auv.]), cat. encavalcar tr. « superposer » (dp. 1456 [encavalcades part. p. f.pl. « (être) montées (pièces d’une arbalète) »], DCVB)5, aesp. encaualgar (ca 1277 – 1611, Kasten/Cody ; CORDE [« monter (pièce d’artillerie) »]), gal. encabalgar (DRAG2), port. encavalgar « assembler les divers éléments qui (la) constituent (d’une pièce d’artillerie), monter » (1713, Bluteau).

II.2. Sens « s’accoupler (avec une femelle) » (emploi transitif direct)
*/ɪn‑kaβall‑iˈk‑a‑re/ > dacoroum. încăleca v.tr.dir. « s’accoupler (avec une femelle), saillir » (dp. 1688, DA/DLR ; CADE ; Cioranescu n° 4370 ; MDA).

Commentaire. – À l’exception du dalmate, du frioulan, du ladin, du romanche, du francoprovençal et du gascon, toutes les branches romanes présentent des cognats conduisant à reconstruire protorom. */ɪn‑kaˈβall‑ik‑a‑/ v.intr./tr. « (faire) prendre place sur le dos d’un cheval, (faire) monter en selle ; être positionné de manière à avoir la jambe gauche d’un côté (de qch.) et la droite de l’autre côté, être à califourchon (sur) ; s’accoupler (avec une femelle), saillir »6, dérivé en */ɪn-/ (préfixe formateur, entre autres, de verbes inchoatifs, cf. Meillet,RPhAnc 21, 84, 89 ; BarbelenetAspect 344-353 ; Lejay,RPhAnc 43, 254, 267-269 ; Ernout/Meillet4 s.v. in ; MeilletTraité 302-303 ; HallMorphology 156-157 ; cf. aussi RohlfsGrammStor 3, § 1015) de */kaˈβall‑ik‑a‑/7.
Les données romanes ont été classées selon les sémantismes originels auxquels elles s’attachent et la valence qu’elles présentent : « monter en selle » (intr., ci-dessus I.1.), « faire monter en selle » (tr.dir., ci-dessus I.2.), « être à califourchon (sur) » (tr.dir., ci-dessus II.1.) et « s’accoupler (avec) » (tr.dir., ci-dessus II.2.). Seuls le roumain et l’asturien maintiennent le sémantisme inchoatif (I.) véhiculé par le préfixe (« monter en selle »), que les autres branches ont neutralisé à date prélittéraire (> « aller à cheval »). Pour ce qui est du sens « faire monter en selle » (I.2.), on le reconstruit d’une part à partir de la donnée roumaine, d’autre part à travers le sens « munir d’un cheval », que connaissent le français, l’occitan, le catalan et l’espagnol, et qui y remonte à travers l’étape « monter (un homme d’armes) sur un cheval, (le) pourvoir d’un cheval ». L’évolution générale de I.1. à II.1. est donc celle d’une action non factitive à une action factitive (cf. le sens parallèle « faire descendre (qn) de cheval » sous */dɪs‑kaˈβall‑ik‑a‑/ I.2.), puis de cette action à son résultat, le point d’arrivée étant constitué par une réanalyse en des “parasintétiques munitifs” (verbes dont le sens est « munir (qn) (de qch.) », cf. RonjatGrammaire 3, 448 ; cf. aussi NyropGrammaire 32, 223 et AlvarMorfología 351).
Les matériaux ici réunis sont en général analysés comme des dérivés idioromans (post-protoromans) à l’aide du continuateur du préfixe */ɪn‑/, soit sur la base de l’issue de protorom. */kaˈβall‑ik‑a‑/ (REW3 s.v. cabăllĭcāre ; DES ; PittauDizionario 1 ; Tiktin3 ; EWRS ; Cioranescu n° 4370 ; DA/DLR ; Raevskij/Gabinskij ; LEI 9, 67-68 ; FEW 2, 6b-7a ; DCVB ; DECat ; DCECH ; Kasten/Cody ; Houaiss), soit sur celui de protorom. */kaˈβall‑u/ (DELP3). Il est vrai que des formations idioromanes de type préfixe + verbe seraient théoriquement possibles, mais des arguments de nature comparative et phylogénétique, sémantique et morphologique militent en faveur d’une dérivation protoromane (et donc d’un héritage roman). D’abord, le lexème se retrouve dans les trois grands ensembles génétiques de la Romania : en sarde, en roumain et dans plusieurs idiomes appartenant à la Romania italo-occidentale. Puis on constate un parallélisme sémantique entre */kaˈβall‑ik‑a‑/ et */ɪn‑kaˈβall‑ik‑a‑/, qui présentent tous les deux les sémèmes secondaires « être à califourchon » et « s’accoupler », qui reposent sur des métaphores non triviales et dont le développement semble donc difficile à justifier de façon indépendante8. En outre, l’hypothèse de créations idioromanes en préfixe + verbe ne tient pas compte du fait que le roumain, qui n’a pas maintenu de représentant de */kaˈβall‑ik‑a‑/, connaît un lexème présentant le même trisémisme que ce dernier. Enfin, elle achoppe sur une difficulté morphologique : si le continuateur de */ɪn-/ peut en effet servir à former des préfixés sur base verbale en italien, en occitan, en français et en galégo-portugais (RohlfsGrammStor 3, § 1015 ; RonjatGrammaire 3, 447 ; NyropGrammaire 32, 223 ; FerreiroGramática 2, 81-82 ; CoutinhoGramática § 325), il n’est guère productif sur base verbale en roumain9 et pas du tout en espagnol (cf. AlvarMorfología 351). Quant à l’hypothèse de formations idioromanes de type préfixe + nom, elle est irrecevable pour des raisons phonétiques : la séquence [-ɛk-] de dacoroum. încăleca et ses correspondants dans les autres idiomes resterait inexpliquée10. Pour cet ensemble de raisons, qui s’appuie sur une comparaison romane (ce qui n’est que rarement le cas dans les approches débouchant sur une hypothèse idioromane), nous suivons Candrea-Densusianu n° 21311, Pascu 1, 55 (“in-caballĭcare”), DDA212, BaraAroumain (“incaballicare”) et García Arias in DELLAMs (qui hésite entre les deux analyses)13 pour y voir des lexèmes héréditaires remontant à un dérivé créé en protoroman.
Le latin écrit de l’Antiquité ne connaît pas de corrélat de protorom. */ɪn‑kaˈβall‑ik‑a‑/. Du point de vue diasystémique (‛latin global’), ce verbe est donc à considérer comme un particularisme (oralisme) de la variété B (basse) qui n’a eu aucun accès à la variété H (haute). Inversement, lat. inequitare v.intr. « aller à cheval (quelque part) » (dp. Florus [1er/2e s. apr. J.-Chr.], TLL 7/1, 1304), non transmis aux langues romanes (ø REW3 ; ø FEW), s’attache typiquement au code écrit.
Pour un complément d’information, cf. */kaˈβall‑ik‑a‑/ et */dɪs‑kaˈβall‑ik‑a‑/.

Bibliographie. – MeyerLübkeGLR 1, § 223, 306-307, 341-349, 352, 405, 409, 413, 443, 446, 539, 545, 555-557, 563, 566 ; REW3 s.v. cabăllĭcāre ; von Wartburg 1936 in FEW 2, 6b-7a, caballicare I ; LausbergLinguistica 1, § 173-175, 253, 273, 284-290, 314-318, 373, 396-398, 401, 494-498, 565 ; MihăescuRomanité 280 ; Panzera/Pfister/Hohnerlein 2004 in LEI 9, 67-68, caballicāre I 1 c.

Signatures. – Rédaction : Élodie Jactel ; Éva Buchi. – Révision : Reconstruction, synthèse romane et révision générale : Pierre Swiggers ; Valentin Tomachpolski. Romania du Sud-Est : Victor Celac ; Cristina Florescu ; Elton Prifti. Italoromania : Marco Maggiore ; Paul Videsott. Galloromania : Jean-Paul Chauveau. Ibéroromania : Maria Reina Bastardas i Rufat ; Myriam Benarroch ; Ana Boullón ; Ana María Cano González ; Fernando Sánchez Miret. Révision finale : Wolfgang Schweickard. – Contributions ponctuelles : Xosé Lluis García Arias ; Yan Greub ; Ulrike Heidemeier ; Günter Holtus ; Maria Iliescu ; Alexandra Messalti ; Mihaela-Mariana Morcov ; Florin-Teodor Olariu ; Jan Reinhardt.

Date de mise en ligne de cet article. – Première version : 30/03/2014. Version actuelle : 20/09/2022.

 


1. L’aroumain ne connaît presque plus l’infinitif verbal (cf. Saramandu,Tratat 460 ; Kramer,LRL 3, 429-430) ; la forme citationnelle est la première personne du singulier du présent.
2. Afr. enchevaucher v.intr. « chevaucher » (ca 1376/1379, Cromer in DMF2012) est un mot-fantôme : dans le passage Envye vint suiant Sa soer dame Ire enchivalchant Moult fierement sur un sengler, la lecture en chivalchant « en chevauchant » semble s’imposer. La même chose vaut pour occit. encavalcat « chevauché », que Raynouard attribue à tort à Jaufré : JaufreBre 46 et JaufreB 1, 49 ont cavalcat.
3. Le dérivé ast. encabalgadura s.f. « monture » (dp. 13e s., DELLAMs) constitue un témoignage indirect de l’ancienneté du verbe.
4. L’attestation de ca 1341 citée par GDLI et LEI 9, 67 n’a pas pu être confirmée par TLIOCorpus.
5. En revanche, en raison de son caractère tardif, fr. enchevaucher « disposer (des choses) l’une sur l’autre, superposer » (dp. 1771, FEW 2, 6b) s’analyse plutôt comme un dérivé idioroman sur le représentant français de */kaˈβall‑ik‑a‑/ II. 2. à l’aide du préfixe en- à valeur perfective (cf. TLF s.v. en- C. 2.).
6. Nous suivons HaarmannAlbanisch 130, ÇabejStudime 6, 360, VătăşescuAlbaneză 194, 330, 357 et IEEDAlbanian s.v. shklakonem pour considérer alb. ngalkonem v.intr. « monter en selle » (dp. 1555 [engalcomeh fut. 4], ÇabejBuzuku 2, 300 ; GiordanoDizionario ; HaarmannAlbanisch 130 ; ÇabejStudime 6, 360 ; VătăşescuAlbaneză 330, 357 ; IEEDAlbanian s.v. shklakonem), « aller à cheval » (GiordanoDizionario ; HaarmannAlbanisch 130 ; ÇabejStudime 6, 360), tr. « s’accoupler (avec une femelle) » (HaarmannAlbanisch 130 ; ÇabejStudime 6, 360 ; VătăşescuAlbaneză 194, 357 ; BonnetAlbanais 346 [“seul le médio-passif ngalkohet est vivant”]), qui y répond tant du point de vue phonétique que sémantique, comme un emprunt à protorom. */ɪn‑kaˈβall‑ik‑a‑/ (ou plutôt à un protoroman régional et tardif */ɪn‑kaˈβalk‑a‑/, cf. ÇabejStudime 6, 360), malgré BonnetAlbanais 346, qui y voit plutôt un emprunt au roumain ou un croisement entre alb. ngarkohet « être enceinte » < « être chargée » (< */ɪn‑ˈkarr‑ik‑a‑/) et kalë « cheval », hypothèse inutilement compliquée.
7. En raison du parallélisme structurel avec */dɪs‑kaˈβall‑ik‑a‑/, cette hypothèse nous semble plus probable que celle d’une formation sur */kaˈβall‑u/.
8. La Database of semantic shifts in the languages of the world, qui exploite les données de plus de 300 langues, répertorie le développement « aller à cheval » > « s’accoupler (avec) » dans trois langues non romanes : deux langues sémitiques (akkadien et tigrigna) et une langue germanique (islandais), mais pas le développement « aller à cheval » > « être à califourchon » (DatSemShifts s.v. to ride).
9. Contrairement à protorom. */ɪn-/, productif tant sur base nominale que verbale, roum. în- forme très majoritairement des dénominaux (Şuteu,SMFC 2, 61) : sur 1141 lexèmes présentant en synchronie le préfixe în-, seuls sept pourraient être des déverbaux de création roumaine (Şuteu,SMFC 2, 44 ; cf. aussi MironKreativität 83, qui cite seulement un hapax chez Cantemir [✝ 1723] : a înăcăji « s’énerver beaucoup (?) » < a năcăji « s’énerver » ; FormareaCuvintelor 2, 134-143, qui présente une analyse synchronique très poussée du préfixe în-, ne distingue pas entre lexèmes hérités et créations roumaines).
10. Des formations parasynthétiques faisant intervenir des représentants de */-ik-/ sont exclues aussi, car ce suffixe n’a été hérité que par un nombre très réduit d’idiomes romans : “icare ist [...] in den den tonlosen Nachtonvokal synkopierenden Sprachen untergegangen” (MeyerLübkeGLR 2, § 577).
11. “in-caballĭcare. [...] it. incavalcare ; sard. log. inkaḍḍigare ; fr. enchevaucher ; prov. encavalcar ; cat. encabalcar ; sp. encabalgar ; port. encavalgar”.
12. “Lat. in-caballicare, caballicare « aller à cheval, chevaucher »”.
13. “Compuestu del verbu cabalgar (cfr.) anque duldemos si encabalgar ha tenese por formación llatina compuesta *incaballicāre o por amestanza romance pues tamién se conseña en port. encavalgar, cast. encabalgar, cat. encavalcar”.

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